CHEF-D'ŒUVRE DU PATRIMOINE SPIRITUEL
hamid triki, historien – said mouline, architecte
marrakech – rabat, le 11 septembre 2023
Proche de l'épicentre du tremblement de terre qui a frappé le Haouz et le sud du Maroc dans la nuit du 8 au 9 septembre, la Mosquée de Tinmel, un des chefs-d'œuvre de l'architecture religieuse du Maroc, n'a malheureusement pas résisté aux effets dévastateurs d'un tremblement de terre de forte magnitude. Les dommages causés à la Mosquée de Tinmel font partie du coût patrimonial de cette terrible catastrophe qui a endeuillé notre pays.
Aux victimes et rescapés de cette effroyable tragédie s'ajoute la perte d'un des plus beaux et plus importants repères de l'architecture religieuse de notre pays et de l'art religieux de l'Occident musulman. Ce document ne se limite pas à une présentation succincte de la Mosquée de Tinmel, son seul objectif est d'œuvrer à la restauration de ce chef-d'œuvre de notre patrimoine spirituel, culturel et historique, d'un héritage qui a déjà connu une première renaissance.
Cette mosquée participe en effet, avec ses sœurs jumelles – la Koutoubia à Marrakech, la Giralda à Séville et la Mosquée de la Tour Hassan à Rabat – à l'épopée architecturale et patrimoniale de la dynastie almohade. Elle constitue la matrice ou plus exactement la mosquée archétypale de cette dynastie dont le règne s'étendait, à l'époque, sur un vaste empire de l'Atlantique au Golfe de Gabès et du Sahara à l'Andalousie.
Tinmel est donc non seulement le berceau de la dynastie almohade, mais la Mosquée où est enterré son fondateur El Mahdi Ibn Toumert. Elle est le parangon, l'archétype, héritage de l'art islamique hispano-maghrébin où les mosquées de la Koutoubia (1162), de la Giralda (1184) et de la Tour Hassan (1196), toutes trois classées sur la liste du patrimoine Mondial de l'Unesco, trouvent leur origine, leur modèle et les sources de leur décor qui repose, par ailleurs, sur les fondements unitaires de la doctrine almohade. La Mosquée de Tinmel est une mosquée innovante dont le style allie le raffinement de la tradition architecturale arabo-andalouse et les techniques de construction locale.
La mosquée de Tinmel est inscrite dans un rectangle d'environ 48 mètres sur 43 au bord de la palmeraie qu'irrigue la rivière Nfis. Ses murs et son minaret extérieur – qui incorpore le mihrab – sont faits de briques et de mortier à base de terre, cailloux et chaux, ce qui lui donne cette couleur ocre qui l'intègre dans le paysage. Les vues plongeante et axonométrique permettent de voir la composition volumétrique de la mosquée. Le mihrab, incorporé dans le minaret qui s'élève à l'extérieur est précédé d'une coupole traitée en mouqarnas. Deux coupoles se répondent de part et d'autre du mihrab, aux extrémisés du mur de la qibla.
TINMEL
OU LE SECRET DES CINQ LETTRES
Tinmel…, Ta, Ya, Noun, Mim, Lam…
Qui aurait cru que du sens retrouvé de ces cinq lettres jaillirait un empire, celui des Almohades, le plus brillant de l'histoire médiévale de l'Occident Musulman ? Ta, ya noun, mim, lam… Que diable signifient ces énigmatiques lettres qui obsèdent l'esprit d'Ibn Toumert depuis son retour d'Orient ? Celui qu'Ibn Khaldoun qualifie sans réserve de météore brillant de la religion et que ses contemporains orientaux nomment le Fakih du Souss, se trouve bien réservé face à ces cinq petites lettres dont il veut absolument percer le mystère. Ces lettres, il les a rencontrées dans un de ces livres sibyllins circulant secrètement dans cet Orient du début du début du VIème siècle de l'Hégire (XIIème siècte) lors des pérégrinations religieuses et scientifiques que notre fakih y entreprit.
C'est sur ordre de Abdelmoumen qu'on élève une mosquée en hommage à la mémoire de son maître et père spirituel : elle sera et restera longtemps le plus parfait édifice jamais réalisé sur les terres de l'Islam d'Occident. Ce monument, mieux qu'un autre, va répondre à la rigueur, sans cesse clamée dans les écrits, les discours et les prêches de la pensée du Mahdi. Tout sera mis en œuvre pour que cette offrande posthume soit à la mesure d'Ibn Toumert, l'Assafou (littéralement le flambeau). A la rigueur de sa pensée va répondre la rigueur mathématique la plus exacte ; à partir d'un module de base (la coudée : 64 cm, mesure entre les deux colonnes du mihrab) on va réaliser les figures les plus parfaites de la géométrie : carrés, cercles et triangles vont se recouper à l'infini et se rencontrer dans les points les plus précis, pour dessiner au sol une surface remarquablement équilibrée, ensuite s'élever dans les façades, les arcs, les galeries, les nefs et enfin, le mihrab, une des niches les plus parfaites qu'ait vu l'esthétique islamique. On l'aura compris, si les mosquées de la Koutoubia, de la Tour Hassan et de la Giralda doivent leur beauté, la qualité de leur architecture et la finesse de leur décor, c'est notamment à Tinmel et à sa force de mosquée archétypale qu'elle inspire. Repères urbains de grandes cités millénaires, ces trois mosquées font partie du Patrimoine mondial de l'Unesco. Elles le doivent, en partie, à la Mosquée de Tinmel qui doit poursuivre son existence et sa renaissance en tant que Patrimoine de l'Humanité. Puisse-telle survivre à la terrible catastrophe qui a endeuillé le Haouz et le sud de notre pays et poursuivre le témoignage qu'elle véhicule depuis huit siècles avec ses sœurs jumelles qui lui sont redevables. Hamid Triki et Saïd Mouline Marrakech – Rabat, le 11/ 09/ 2023