Présentation
De toutes les collections présentées dans ce site, les ″Cahiers d’Architecture et d’Urbanité″ est celle qui a connu le développement le plus fulgurant. Qu’on en juge, un premier numéro paru en 1999, en français, faisait 34 pages et contenait deux dizaines d’illustrations en noir et blanc. Il avait été produit à la Direction même en une centaine d’exemplaires, à l’exception de la couverture. Un dernier numéro, paru en 2005 (le 7ème de la série) en 4 langues (arabe, espagnol, anglais et français) faisait 232 pages et plusieurs centaines d’illustrations en couleur. Ainsi, de ″Riad al Ouarzazi, Avenir d’un Patrimoine″ à ″Patrimoine Mondial au Maroc″ un saut qualitatif d’importance avait été franchi. Entre ces extrêmes, se situent, d’une part, des numéros inscrits dans des luttes urbaines et des engagements sur le terrain et, d’autre part, des numéros au long cours plus conceptuellement que politiquement engagés. Il va de soi que les conditions dans lesquelles ont été faits les uns ou les autres pouvaient êre diamétralement opposées, déterminaient la durée des délais, les conditions de travail, les atmosphères tendues ou sereines et qu’ainsi, elles laissaient leurs empreintes sur la dernière mouture des ouvrages. Empreintes difficiles à lire ou à saisir par celles et ceux qui ne les ont pas vécues.
L’intérêt public de l’architecture
Dans l’Avant Propos qui introduit toutes les livraisons de cette Collection, il est mentionné d’emblée qu’elle ″était destinée à contribuer à une prise de conscience de l’intérêt public de l’architecture avec toutes les implications que cela suppose″. Il en fut ainsi. En effet, les premières livraisons de la première Direction de l’Architecture du Maroc, dénonçaient la démolition illégale d’un riad à Marrakech dernier rempart de protection en médina de la Place Jama‘ al Fna et lançaient un cri d’indignation devant la profanation d’un cimetière historique du XIVème siècle – Sidi Ben Acher en médina de Salé. Transformé dans une première étape en décharge publique, il devait dans l’étape projetée, devenir l’objet d’une spéculation foncière et immobilière. Ce cri d’indignation n’a, à ce jour, épargné qu’une petite partie du cimetière. Espérons que les martyrs qui y reposent sauvent la seconde moitié. L’on compte en effet dans la grande partie restante, pressentie pour d’autres projets, les martyrs assassinés lors des représailles consécutives à la présentation du Manifeste de l’Indépendance le 11 janvier 1944. Une prière de recueillement en leur mémoire se déroule, à cette date, par les anciens combattants et membres du Parti de l’Indépendance.
Défense de l’urbanité
Les liens progressivement et rapidement tissés avec des groupements associatifs actifs et autonomes ont conduit, par ailleurs, à accompagner et à promouvoir, en 2001, le premier CD Rom au Maghreb consacré à une cité historique, la médina de Tétouan, puis à assurer une assistance technique au projet communautaire d’Aït Iktel dans le Haut Atlas. Cela a conduit, d’une part, dans un numéro d’une autre Collection ″Dialogues sur la Ville : La richesse des pauvres″ à clarifier la distinction faite entre urbanisme et urbanité et, d’autre part, à confectionner les dossiers techniques nécessaires qui ont valu à ce projet communautaire, la récompense prestigieuse du Prix Aga Khan d’Architecture en 2001, ainsi que la première page de couverture de revues professionnelles d’architecture en Europe. Les petites jeunes filles, débarrassées de la corvée d’eau, que nous voyions à l’époque à l’école d’Aït Iktel, sont aujourd’hui étudiantes à l’Université Cadi Ayyad à Marrakech. ″Rabat, jardins d’antan″ fait une description de sept jardins d’importance dans leurs contextes. Ce faisant, cette livraison d’Architecture rendait hommage à un grand acteur oublié qui fit les orientations urbaines majeures du Protectorat français au Maroc. C’est à lui que Rabat doit, dès le début du siècle, son statut de ″ville-jardin″, ville expérimentale et pionnière au plan international. Premier ″consultant″ auprès du Résident Général dès 1913, il fit, en six mois, un rapport et traça des orientations qui furent suivies à la lettre. Malgré cela, Jean Claude Nicolas Forestier est très longtemps resté le chaînon manquant de l’histoire urbaine du Maroc sous Protectorat français, alors qu’il était, de plus, à l’origine de la rencontre entre Hubert Lyautey et Henri Prost qu’il estimait le plus apte à donner corps à ses orientations visionnaires.
Jama’ al Fna, reconnaissance et limites
Un argumentaire, une promesse, un partenaire inattendu et un projet trop ambitieux ; ce sont là les principales caractéristiques du Cahier d’Architecture et d’Urbanité ″Jama’ al Fna, Patrimoine oral et immatériel de l’humanité″. L’argumentaire est celui du Directeur Général de l’Unesco en visite au Maroc pour la pose de la plaque commémorative du classement de la Place Jama’ al Fna en tant que ″Chef d’œuvre du Patrimoine oral et immatériel de l’Humanité″. Il était non seulement le premier mais également celui qui a été retenu à l’unanimité du Jury. A ce titre le Directeur Général souhaitait vivement que le Royaume du Maroc fasse connaître le plus largement possible cet icône du Patrimoine oral et immatériel. La promesse, c’est justement la réalisation cet ouvrage. Ouvrage qui recèle, par ailleurs, une conception autre de la culture que celle qui prévalait et prévaut toujours à l’Unesco (cf. ″La complexité de la culture″ dans la rubrique ″Articles et conférences″). Le partenaire inattendu est le Groupe ″Caisse de Dépôt et de Gestion″ qui a choisi cet ouvrage, en a fait un tirage de mille exemplaires pour accompagner les vœux de 2003 formulés par cette institution d’importance. Promesse tenue, peut-être, mais cela était insuffisant à mes yeux. En effet pourquoi s’arrêter en si bon chemin. Et si ce chef-d’œuvre mondialement connu donnait naissance à un observatoire des valeurs culturelles ″orales et immatérielles″ dans la région Afrique et Monde arabe ? Plus de six mois de travail avec deux confrères, soutenus et encouragés par Noriko Aikawa (Directrice du secteur du patrimoine intangible à l’Unesco) et Juan Goytisolo (Président des deux premiers jurys du patrimoine intangible) pour décliner ce projet qui bien que coûteux fut accepté. Mais pour de tels projets le financement ne suffit pas. Après les efforts considérables pour obtenir le classement de la Place, l’Association portant son nom et qui avait la légitimité morale pour le conduire, n’avait plus le souffle suffisant pour gérer ce projet trop ambitieux. Nous n’avons pas quitté le patrimoine pour autant et le Cahier d’Architecture et d’Urbanité ″Patrimoine mondial au Maroc″ a été conçu et réalisé, non en tant que guide touristique ou Coffee Table Book mais en tant qu’hymne d’amour à la patrie (cf. le Préambule de cet ouvrage). Très documenté, richement illustré, ce fut également le chant du cygne de cette Collection.
Said Mouline
Rabat, le 26 novembre 2011